Novembre 2015. Finneas O’Connell, le frère de la jeune chanteuse, alors âgée de 13 ans, invite sa sœur à enregistrer une version d’Ocean Eyes. L’interprète reconnaît la proximité des paroles, de la mélodie, avec ses états d’âme, et remercie son frangin de lui avoir « prêtée ». Ensemble, ils mettent la chanson en ligne sur Soundcloud. En quelques jours, sans avoir jamais connu quelconque notoriété, le duo créatif se retrouve sur le devant de la scène. Un blog, des remixeurs, des curateurs YouTube et des internautes anonymes répandent vite ce morceau de trip-hop planant et mélodieux sur l’Internet mondial.
Fille de comédiens, Billie Eilish a grandi dans un milieu créatif mais peu privilégié. Elle est scolarisée à la maison, et développe son intérêt pour les arts très jeune, en particulier avec son frère. Son intérêt pour la danse, puis la musique à travers la découverte d’Aurora, lui révèlent sa vocation : c’est à douze ans qu’elle décide de tout miser sur sa voix, et commence à passer des auditions. Mais c’est par Ocean Eyes, et en catimini, qu’elle intéresse finalement le milieu professionnel du spectacle.
Tout s’accélère en 2016, avec sa signature auprès du manager et découvreur de talent Denzyl Feigelson, déjà à l’œuvre sur les projets de Jorja Smith. Cela lui donne une aura supplémentaire pour la sortie de Six Feet Under, son deuxième tube, largement diffusé. Engagée en maison de disque un mois plus tard, elle commence à dévoiler son univers dans des clips, et monte sur scène dans les semaines suivantes. Son caractère s’affirme, tant musicalement que psychologiquement, à travers ses premiers titres.
Mêlant des arrangements doux et des percussions massives, la musique de la très jeune femme s’inscrit alors dans les pas de la grande pop contemporaine, telle qu’écrite par Lana Del Rey ou Halsey. Par ses paroles, très matures pour son âge, elle semble se détacher toutefois, en trouvant vraiment une expression existentielle de l’adolescence et de l’amour.
Une image soigneusement bâtie
Naturelle dans ses chansons, fragile dans son expression, Billie Eilish a soigneusement construit son univers artistique. En nommant son premier E.P. Don’t Smile at Me, par exemple, elle a ironisé sur son manque d’affabilité dans la rue. Expliquant ne pas aimer sourire aux inconnus ni recevoir de sourire de leur part, elle a traduit assez littéralement son sentiment par rapport à la société.
Au printemps 2021, Billie Eilish apparaissait en pin-up rétro sur la couverture de Vogue, le célèbre magazine de mode. Les clichés pris à cette occasion ont battu des records de likes sur Instagram. Nombreuses sont les voix à avoir plastronné qu’enfin Billie Eilish « assumait » sa féminité. Mais cette sortie médiatique vient avant tout promouvoir un nouvel album de chansons, Happier than Ever, à l’authenticité notable. En effet, alors qu’elle devait réaliser une tournée mondiale, Billie Eilish a été rattrapée par le confinement. Une période sombre pour beaucoup, mais qui a l’a libérée, d’un point de vue créatif. Avec son frère, ils ont remis le couvert pour imaginer cet opus, qui n’est pas « l’album de la maturité » (puisque sa maturité s’est manifesté dès son premier disque), mais montre comment l’artiste évolue sans perdre un souffle de son inspiration. A bientôt 20 ans, l’autrice-compositrice de Bad Guy apparaît au monde comme la relève de la musique pop, bien décidée à balayer les images d’antan, et à inscrire son nom tout en haut de l’affiche.
Pour cela, elle a légèrement réchauffé l’ambiance sonore de sa musique. Plus langoureuse, plus affirmée, sa voix nous emmène vers des terrains presque jazzy sur les premiers singles du nouvel album, comme Lost Cause ou Your Power. Dans le même temps, en contribuant à la B.O. du prochain James Bond, Mourir peut attendre, la star juvénile s’est imprégnée de l’atmosphère glamour de la franchise pour livrer No Time to Die, véritable synthèse de son évolution de carrière, que l’on souhaite encore longue !